Lorsque l'on évoque les réfugiés et la paix dans une même phrase, il s'agit souvent de parler des réfugiés comme d’une menace pour la paix. Les pays sortant d'une situation de conflit sont fragiles et instables. Nous l'avons constaté dans d'innombrables contextes : en Irak, au Liberia, au Timor oriental, etc. Dans tous les cas, les gouvernements nationaux ainsi que les acteurs clés régionaux et internationaux se soucient surtout de reconstruire la résilience d'un pays. Le retour de milliers, de centaines de milliers, voire de millions de réfugiés dans certains cas, est alors considéré comme une menace sérieuse pour ce processus. Les pays sortant d'un conflit ont des ressources limitées, des infrastructures détruites et sont fortement dépendants de l'aide internationale. Alors qu’ils s'efforcent de fournir à leurs citoyens restants les moyens matériels nécessaires à leur survie, de nombreux pays craignent la perspective du retour des réfugiés.
Ces déficiences matérielles affectent également les relations entre les personnes. Les personnes restées au pays (‘stayees’) luttent pour leur propre survie, et la concurrence supplémentaire des rapatriés pour des ressources rares n'est pas bien perçue. Par ailleurs, pour les réfugiés eux-mêmes, le manque de perspective dans leur pays d'origine retarde leur retour, appréhendant à la fois leur avenir et la concurrence avec les stayees et les autres rapatriés (Parry, 2020). Mais les contraintes matérielles affectent également les pays d'accueil, qui saisissent la première occasion possible pour pousser au retour, souvent lorsque les organismes internationaux tels que l’UNHCR ne le jugent pas encore sûr. Cela conduit à une déportation prématurée dans des contextes instables. Parmi les exemples historiques, citons la Tanzanie qui a triplé le nombre de retours de réfugiés au Burundi en 2002 dès les premiers signes de paix (Milner, 2009). Cette décision a également été influencée par une divergence des flux de donateurs, qui sont passés du soutien aux réfugiés au soutien à la consolidation de la paix, un schéma typique. Actuellement, les déportations forcées ou incitées vers la Syrie, notamment depuis la Turquie et le Liban, soulèvent à nouveau cette question. Les ressources des pays d'accueil sont épuisées et les pressions socio-politiques perçues sur les affaires intérieures poussent les politiciens à mettre fin à leur crise de réfugiés. Depuis son opération “Olive Branch", la Turquie a régulièrement augmenté le nombre de rapatriements de la Turquie vers la Syrie, bien que ceux-ci soient considérés par la plupart des observateurs extérieurs comme des déportations incitées (“soft”) (Mencutek, 2019). Le 12 octobre, le président libanais Michel Aoun a annoncé le début d'un programme de rapatriement à grande échelle des réfugiés syriens. Bien que ces décisions grèvent davantage les ressources nationales et ne signifient pas la fin des hostilités, les pays d'origine les acceptent souvent volontiers. Le nombre de rapatriés est souvent considéré comme un baromètre du succès de la consolidation de la paix (Milner, 2009). Alors que les gouvernements nationaux cherchent à réaffirmer leur autorité et leur légitimité, les signes superficiels d'un retour à la normale tels que les taux de retour des réfugiés sont des arguments bienvenus. Cependant, la fin d'un conflit armé n'entraîne pas automatiquement la fin des hostilités. Les réfugiés sont souvent des victimes que le processus de paix laisse de côté. Les frustrations qui en découlent, et qui dans certains cas conduisent à une résistance armée, font que les réfugiés deviennent l'objet de discours de sécurisation accrue dans leur pays. Ce phénomène a été défini dans la littérature comme les “refugee spoilers” (Milner, 2009). Dans de nombreux cas, les camps de réfugiés sont devenus des bases opérationnelles pour des groupes armés, tels que les moudjahidines au Pakistan ou les Khmers rouges en Thaïlande. La réintégration de ces réfugiés, surtout s'ils font partie des "perdants", est une tâche particulièrement ardue et souvent infructueuse. Toutefois, considérer les réfugiés comme une menace pour la paix est un discours dangereux. Les réfugiés font souvent partie des populations les plus vulnérables à la suite d’un conflit armé, ayant perdu presque tous leurs biens matériels et la plupart de leurs liens sociaux. Les réfugiés ne devraient pas être une réflexion après coup dans un effort de consolidation de la paix par ailleurs réussi, mais un élément central d'un plan d'action supra-national. En effet, certaines études de cas ont montré que les réfugiés présentent des opportunités pour mieux poursuivre la construction de la paix. D'un point de vue matériel, les réfugiés ne sont pas nécessairement un fardeau ou une cause de concurrence indésirable. Une planification correcte de l'allocation des ressources ainsi qu'une aide internationale suffisante et intelligente peuvent être fournies de manière à bénéficier à la fois aux rapatriés et aux personnes restées sur place. En Érythrée, les régions qui allaient connaître le plus grand afflux de rapatriés ont été identifiées à l'avance par le gouvernement, l’UNHCR et les ONG, et ont donc reçu plus d'aide et d'attention pour alléger la pression (Kibreab, 2002). Il s'agissait notamment des régions frontalières du Soudan, telles que Gash Barka. En fin de compte, les personnes restées ont bénéficié de la même manière, notamment de l'augmentation du nombre d'écoles (à Gasha Barka, le nombre d'écoles primaires est passé de 50 en 1991 à 119 en 2000) et d'installations médicales par rapport à l'avant-guerre. D'autres services tels que l'approvisionnement en eau, les vétérinaires et même les sources de crédit se sont considérablement améliorés pour tous après le retour des réfugiés. Les rapatriés ont également la possibilité d’être des agents actifs dans les économies d'après-guerre. À Gash Barka encore, les rapatriés ont stimulé l'économie locale au lieu de l'entraver. Ils ont créé des emplois et des opportunités de revenus, simplement par l'augmentation substantielle de la main-d'œuvre et des transactions financières. Les rapatriés ont voulu acheter du bétail aux habitants, ont voulu être employés dans les fermes locales, ont voulu faire partie d'une économie active et ont profité des nouvelles libertés dont ils ne pouvaient pas jouir dans les camps de réfugiés. Par leur retour, ils ont repeuplé ce qui était auparavant des villes fantômes, dans des régions qui avaient été négligées pendant les années d'avant-guerre et qui ont le plus souffert pendant la guerre. Ils les ont réhabilitées par leur arrivée. L'agence économique des rapatriés peut même aller au-delà des avantages quantitatifs et être qualitative. En particulier, les rapatriés issus de situations prolongées peuvent revenir avec de nouvelles compétences et de nouvelles vocations, débouchant sur de nouvelles perspectives d'emploi. À ce titre, ils ont le potentiel de contribuer au capital humain nécessaire à la consolidation de la paix. Des études comparatives entre les réfugiés libériens au Ghana et en Guinée ont montré l'impact de l'accès à l'éducation (y compris l'enseignement supérieur) et à la formation professionnelle sur les rapatriés (Coffie, 2014). Les rapatriés du Ghana, où l'accès à ces services était beaucoup plus facile, étaient plus susceptibles de revenir et de s'intégrer avec succès au Liberia. Ils ont rempli des niches importantes dans la société libérienne d'après-guerre, comme des journalistes, des infirmières ou des enseignants du primaire, toutes des compétences acquises à l'étranger. Cela souligne à nouveau l'importance de fournir aux réfugiés les outils nécessaires pour faciliter leur retour. Bien que les pays d'accueil considèrent souvent les possibilités de travail et d'éducation comme des facteurs d’attraction de réfugiés, elles encouragent et facilitent le retour sur le long terms, et augmentent les chances de réussite du processus de consolidation de la paix. Le temps passé en tant que réfugié est extrêmement important pour former et aider les citoyens à devenir de futurs agents de paix, leur permettant non seulement de survivre mais aussi de prospérer, tant in bellum que post bello. Cependant, la construction de la paix ne consiste pas seulement à reconstruire matériellement une nation, mais aussi en une entreprise narrative, qui cherche la paix sociale entre des parties précédemment en guerre. À cet égard, il convient de noter qu'il existe deux types de conflits générateurs de réfugiés : les conflits inter-étatiques et les conflits intra-étatiques. Dans le cas des conflits inter-étatiques, il est fort probable qu'à leur retour, les réfugiés reçoivent un accueil positif de ceux qui sont restés. Cela est notamment dû à un ennemi commun et au respect mutuel de la souffrance de l'autre, comme ce fut le cas en Érythrée, d’après Kibreab (2002). La paix sociale est donc assez facilement atteignable dans de tels cas, bien que cela puisse être contrebalancé par la pénurie matérielle, si cette dernière n'est pas traitée correctement. Dans les cas de guerre civile, la paix sociale post-conflit est beaucoup plus difficile à atteindre, car la plupart des parties belligérantes cohabitent toujours sur le même territoire. Il s'agit alors d'un choc de récits qui doit être soigneusement navigué. Il existe une pléthore de littérature sur ce sujet, mais peu d'entre eux portent sur les récits des réfugiés. Et pourtant, il est absolument essentiel d'inclure les récits des réfugiés dans tout effort de paix significatif. La migration forcée est l'un des actes les plus violents de la guerre, et la compréhension qu'ont les réfugiés de ce qu'est la "justice" peut être très différente de celle des personnes qui sont restées ou des gouvernements. Si la méthode du "Comité Vérité et Réconciliation" est éprouvée et a été couronnée de succès par le passé, notamment en Afrique du Sud, elle n'offre qu'un compte rendu monolithique et factuel des violations individuelles. Dans le cas des réfugiés libériens, des études ont montré des alternatives beaucoup plus efficaces pour aider à la réconciliation. Les groupes de dialogue communautaire dans le camp de Buduburam ont semblé répondre plus adéquatement aux besoins des réfugiés en matière de justice et de transition (Parry, 2020). Cela est dû en partie au fait de ne pas aborder le quoi du conflit mais le pourquoi, une question qui préoccupe beaucoup les personnes déplacées de force. En outre, le fait d'aborder la violence de la guerre à un niveau systémique et non personnel, mais donc anonyme, semblait faciliter la reviviscence de ces souvenirs, par rapport à l'approche au cas par cas de la CVR. Cependant, il est tout à fait louable que la CVR libérienne ait étendu sa juridiction aux réfugiés, et un meilleur développement de ce modèle, avec plus d'informations et d'audiences publiques, pourrait améliorer l'effet de la CVR. Les réfugiés ont été considérés pendant trop longtemps, dans le pire des cas, comme des menaces pour la paix ou, dans le meilleur des cas, comme de simples baromètres de réussite. Les tentatives holistiques de construction d'une paix durable doivent inclure les besoins des rapatriés dès le début, en les considérant comme des contributeurs et non comme des fauteurs. Les rapatriés, en raison de nombreuses raisons, sont en effet des facteurs positifs en ce qui concerne les besoins matériels et la reconstruction économique. Par ailleurs, il semble impossible de prétendre avoir réussi à ramener la paix dans un pays en n'ayant pas abordé la question de la paix aux yeux des réfugiés. Pour ces derniers, la violence ne prend pas fin avec le dernier coup de feu, mais lorsqu'ils sont enfin en paix, que ce soit à l'étranger ou dans leur pays. Elle prend fin lorsqu'ils ne sont plus des réfugiés. Bibliographie: Coffie, A. (2014). Filling in the Gap: Refugee Returnees Deploy Higher Education Skills to Peacebuilding. Refugee Survey Quarterly, 33(4), 114–141. https://doi.org/10.1093/rsq/hdu015 Kibreab, G. (2002). When Refugees Come Home: The Relationship Between Stayees and Returnees in Post-Conflict Eritrea. Journal of Contemporary African Studies, 20(1), 53–80. https://doi.org/10.1080/02589000120104053 Milner, J. (2009). Refugees and the Regional Dynamics of Peacebuilding. Refugee Survey Quarterly, 28(1), 13–30. https://doi.org/10.1093/rsq/hdp015 Parry, J. (2020). Constructing space for refugee voices in national peacebuilding processes. Peacebuilding, 8(2), 159–177. https://doi.org/10.1080/21647259.2018.1551279
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AuthorMaxim is a Master's student in Human Rights and Humanitarian Action at Sciences Po, Paris. He researched and wrote this article as part of the BizGees & Sciences Po Internship programme.
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